Un "dur" à la tête de la Ligue du Nord. Matteo Salvini conquista Le Monde
C'est un problème par les temps qui courent de s'appeler Matteo, d'être jeune, et d'avoir aussi été élu chef de parti, au moment même où Matteo Renzi s'emparait des rênes du Parti démocrate (PD) entraînant tous les médias derrière lui dans une "renzimania" généralisée. Quand les quotidiens italiens consacrent trois pages au maire de Florence, Matteo Salvini, 40 ans, élu samedi 7 décembre à la tête de la Ligue du Nord, doit lui se contenter d'une seule.
Question de proportion: le PD a obtenu 25% des voix aux élections générales (une déception) , quand la Ligue n'en recueillait que 4% (un véritable flop) ; Matteo Renzi a été élu par 68% de 2,9 millions d’électeurs sympathisants de gauche, quand Matteo Salvini triomphait avec 82% des voix de... 10 000 votants inscrits dans les sections. Question de style: M. Salvini pose en toutes circonstances en veste de survêtement, M. Renzi porte des costumes ajustés du dernier cri. Question de discours, enfin: M. Salvini s'est déclaré (en 2009) en faveur de wagons séparés pour les Milanais de souche dans le métro de la capitale lombarde dont il est originaire, M. Renzi est en faveur d'une réforme de la dure loi Bossi-Fini restreignant l'accès à la nationalité pour les étrangers extracommunautaires.
Malgré leurs différences évidentes, l'un et l'autre sont face au même défi : rénover leur formation politique, dans deux directions radicalement différentes. Alors que Matteo Renzi se rêve en Tony Blair transalpin cherchant à arrimer le PD au réformisme, Matteo Salvini veut ramener la Ligue à ses origines d'il y a trente ans: indépendantiste, anti-européenne, et xénophobe. Il repousse fermement (du moins pour l'instant) toute alliance avec la droite, alors que la Ligue s'est présentée presque à chaque scrutin avec les formations guidées par Silvio Berlusconi et qu'elle gouverne avec elles trois régions de l'Italie septentrionale (Vénétie, Lombardie, Piémont), une dizaine de provinces et des centaines de communes. A peine élu, M. Salvini a radicalisé un peu plus son discours, si cela est possible. L'approche des élections européennes en mai 2014 lui en offre la possibilité et lui en impose l'obligation: les coalitions sont impossibles à ce scrutin. Parlementaire européen depuis 2009, M. Salvini doit faire face à deux puissants concurrents qui défendent au moins une de ses thématiques: la sortie de l'Italie de la zone euro.
Dans cet embouteillage, la Ligue n'est pas assurée de dépasser la barre des 4% des voix qui lui permettrait d'envoyer des représentants au Parlement de Strasbourg. "L'euro est un crime contre l'humanité", a-t-il déclaré dimanche 15 décembre, pour son premier discours officiel de chef de parti devant des représentants ravis du Front National, et d'eurosceptiques des Pays-Bas, de Belgique et d'Autriche. Il a également souhaité l'indépendance de la Vénétie et de la Lombardie par un référendum qui, dans ses rêves, pourrait se tenir en même temps que ceux d'Ecosse et de Catalogne. Ce retour aux sources a une autre explication: balayer le passé, ou du moins tenter de le faire oublier. Revenir à la pureté des origines. Voilà maintenant presque trois ans que le parti apparaît plus souvent à la rubrique faits divers et malversations en tous genres qu'à la section politique. L'arrestation de l'ancien trésorier du parti et ses aveux mettent dans l’embarras tous les dirigeants historiques à commencer par Umberto Bossi, le fondateur du parti, et ses fils qui devraient prochainement être jugés pour abus de biens publics. Ils menaient grand train avec l’argent du parti. Dans le Piémont, Roberto Cotta est pris dans la tempête du scandale des remboursements de notes de frais abusives (cigarettes, petits noirs au comptoir et même ses caleçons de bain étaient payés par l'argent du contribuable). La pari de M. Salvini est loin d'être gagné.